Une crise collective agit différemment sur chaque individu. Notre recherche sur l’impact de la COVID19 sur les relations employeur-employé le montre. Comment alors re-mobiliser les collaborateurs en cas de crise si les uns la voient comme une source majeure d’incertitude, alors que d’autres y perçoivent de multiples opportunités ? Chercher à aligner les équipes autour de la raison d’être de l’entreprise est une réponse pertinente à ces questions. En inscrivant la mission de l’entreprise dans une vision dépassant la recherche de profit, la raison d’être peut donner un sens déterminant à la mission quotidienne des collaborateurs. Et ainsi constituer un puissant levier d’engagement et d’accomplissement de soi. Toutefois, cela suppose de répondre auparavant aux besoins de sécurité et de protection exacerbés par la crise, tout en prenant en compte la diversité des situations individuelles. La hiérarchie des besoins de Maslow s’avère donc une clé utile pour engager les collaborateurs autour de la raison d’être de l’entreprise et, plus largement, de sa stratégie de développement durable.
VUCA. Voilà plusieurs années que le terme est utilisé pour décrypter les changements accélérés de notre époque. Il a été introduit dès 1987 par l’USA Army War College en référence au multilatéralisme d’un monde bouleversé par la fin de la guerre froide. Théorisé ensuite par des spécialistes en management, le concept a été largement développé dans toutes ses dimensions : Volatilité, Incertitude, Complexité, Ambigüité. Avec la COVID19 et la crise multiforme qu’elle provoque, voilà que l’incertitude devient certitude. Elle s’installe dans dans notre réalité quotidienne comme dans nos projections à moyen et long termes.
Incertitude sanitaire, économique, sociale, politique. La crise est vécue différemment par chacun et les perspectives qu’elle laisse entrevoir se définissent au vu d’expériences individuelles sans pouvoir faire de généralisation.
Comment alors mobiliser ou remobiliser des équipes pour qui le présent et l’avenir professionnels peuvent être bouleversés ? Quel rôle peuvent ou doivent jouer les entreprises, leurs dirigeants et managers dans la remobilisation des collaborateurs ?
Redonner du sens par une raison d’être qui dépasse la simple recherche du profit
La raison d’être de l’entreprise est une réponse pertinente à ces questions. Equivalent des termes purpose ou mission statement utilisés dans les pays anglo-saxons, la raison d’être désigne la façon dont l’entreprise entend jouer un rôle dans la société au-delà de sa seule activité économique. En France, elle a notamment été définie dans le rapport remis par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard au gouvernement français sur l’objet social des entreprises. « Une entreprise se crée seulement si elle répond à un besoin spécifique et elle perdure seulement si elle maintient une dynamique d’invention, d’innovation et de création collective. Elle contribue à un ensemble économique et social, en constituant un réseau de clients, de fournisseurs ou de sous-traitants, en s’insérant dans un écosystème, etc. Chaque entreprise a donc une raison d’être non réductible au profit ».
En apportant une vision du monde et en définissant la contribution de l’entreprise à cette vision, la raison d’être doit pouvoir donner du sens au quotidien des équipes. Déclinée en contributions collectives et individuelles concrètes, en ligne avec l’ADN et la stratégie de l’entreprise, la raison d’être peut constituer un puissant levier d’engagement et d’accomplissement de soi des employés (self-actualization).
Que se passe-t-il plus précisément en temps de crise ? Notre étude sur l’impact de la crise COVID19 sur la relation employé-employeur apporte des éclairages intéressants. En temps de crise, les collaborateurs attendent prioritairement de leur entreprise qu’elle mette tout en œuvre pour protéger leur santé, sécuriser leurs emplois et revenus. Ils souhaitent aussi être impliqués dans les changements d’organisation de leur travail quotidien, en maintenant une connectivité sociale. C’est-à-dire, ce qui impacte la qualité de vie de travail. En cela, satisfaire les besoins premiers, de sécurité et d’appartenance des salariés constitue les leviers indispensables de leur (re)mobilisation.
Tout se passe comme si la Pyramide de Maslow redevenait la grille d’explication de nos comportements individuels.
Si l’articulation des besoins individuels selon la théorie de Maslow nous paraît claire et intuitive, elle a pourtant été critiquée, principalement d’un point de vue académique. Certains experts soulignent que tous les individus n’ont pas à satisfaire leurs besoins primaires pour rechercher l’estime ou l’accomplissement de soi. En ce sens, la représentation traditionnelle de la hiérarchie des besoins de Maslow via une pyramide peut sembler déroutante.
Toutefois, cette même représentation réaffirme la satisfaction des besoins fondamentaux comme une étape préalable à un développement personnel optimal.
Impliquer les collaborateurs, et autres parties prenantes, dans une réflexion sur l’objectif et la contribution au bien commun de l’entreprise est une stratégie de sortie durable de la crise. Mais cette réflexion doit venir une fois qu’individus et équipes se sentent protégés et rassurés sur leur vie quotidienne et leur avenir.
Ne pas le faire comporterait des risques élevés en termes de réputation de marque et de confiance dans l’entreprise. En témoignent les exemples d’entreprises qui ont annoncé des plans de licenciements en pleine pandémie pour maintenir leur rentabilité, tout en préconisant une « raison d’être » pour leur organisation. Le cas Danone a mis en lumière cette discordance. Lors de son Assemblée Générale Annuelle 2020, Danone est devenue la première société cotée à adopter le cadre juridique français de l' »entreprise à mission », en intégrant l’objectif de création de valeur pour les parties prenantes dans son business model. Quelques mois plus tard, la société annonçait son intention de supprimer jusqu’à 2 000 emplois – 2% de son effectif – dans le cadre d’une réorganisation. Une telle dissonance a généré de la confusion sur les marchés et une perte de crédibilité parmi ses parties prenantes quant à l’engagement réel du groupe en faveur du bien commun.
Mobiliser les salariés en cas de crise, voire les remobiliser, suppose avant tout de prendre en compte la diversité des expériences et des situations face à la crise. Il est primordial que l’entreprise, ses dirigeants, ses managers inscrivent dans leurs rites de management et de communication interne des dispositifs d’écoute et d’échange, des temps et des espaces permettant une communication « bottom-up » mais aussi « many-to-many » avec et pour les collaborateurs.
La communication apparaît déterminante dans la gestion de crise comme dans l’engagement des équipes. Communiquer, c’est donner du sens et remettre les objectifs d’entreprise en perspective. Mais communiquer, c’est aussi donner la parole et évoquer les sujets difficiles. Avec transparence. C’est aussi un des fondements de la reconnaissance, autre levier majeur de l’engagement.
Une crise comme la crise du COVID19 va durablement transformer les pratiques de management et les formes de travail. Il peut s’avérer nécessaire d’accompagner les managers dans l’adoption d’un leadership reposant sur une culture de la confiance et de la collaboration. Une confiance et une collaboration désormais indispensables au regard notamment des nouvelles formes de travail, présentielle, à distance, hybride.
Autant d’éléments à prendre et d’étapes à suivre pour mobiliser ou remobiliser durablement les équipes en cas de crise. Dans un article dédié, nous y revenons en détail.
Construire une stratégie de développement durable, en ligne avec la raison d’être, sans s’assurer de ces étapes préalables, serait une démarche vraisemblablement vouée à l’échec. La réussite de l’entreprise à court et moyen termes suppose donc de développer une relation entreprise-collaborateurs solide et transparente.